Tour à Tours, suite et faim: l'Atelier d'Akrame.
Samedi, 20h40
En voiture dans Tours, je me dis, c'est finger in the nose pour le créneau juste devant l'entrée du resto. Bon, ça c'est parce que je crois que quand t'as réussi a te garer dans Paris, tu peux te garer partout ailleurs dans le monde. Sauf que Tours mon ami, ça vit la nuit. Donc après environ cinq tours du parking de la place, marche arrière et avant confondues, on prend l'option racaille urbaine en grimpant sur le trottoir et l'angle. Je sais c'est mal. mais arriver en retard, c'est pire.
L'entrée. C'est beau. Même très beau. Enfin c'est un style. Banquette matelassées, écrans lcd, lumiere tamisée, ambiance sushi-lounge quoi. Design, sobre et accueillant toutefois. Serveurs "de la hype" avec un tablier bavette qui acceuille la cravate. Un peu ridicule oui, mais ça marque.
Accueil chaleureux, décontracté mais pas bistrot. Présentation du lieu, du concept, qu'on avait déjà bien saisi tout de même. Un chef (Akrame Benallal) un menu unique, 6 plats, 50 euros. Pour les timides, ou les petits ventres, entrée/plat/dessert à 30 euros, même concept. Le tout : à l'aveugle.
On pourrait dès lors lancer le débat, on y trouverai pas mal de notions, beaucoup de réflexions, ça sonnerait un peu comme ça "liberté...jeune cuisine...égo...folie...facilité...magie...changement...renouveau...audace...risque?...prétention...émerveillement...fulgurance..."
Car les menus uniques émergent ici et là, se pressent et se multiplient, pour venir faire la nique aux sacro-saints menus-carte, carte à rallonge et même sympatiques ardoises bistrotières. Mais qu'en penser alors?
Comme le débat se vit plus qu'il ne s'écrit, déclarons-le mort-né sur cette page, et attendons une rencontre pour laisser fuser les idées.
L'Atelier d'Akrame, Tours, voyons ce qu'il a dans le ventre
Chez Akrame donc, on y va parce qu'on nous dit que c'est "la" table du moment. Bon, d'accord, "on" n'est pas n'importe qui. On y va déjà les yeux fermé à vrai dire, et cela fait coup double à l'annonce du non-menu. Qu'est-ce que ça vaut, et qu'est-ce qu'on y mange? no idea sir, let see...
Autour de nous, une clientèle hyper éclectiques: un tout jeune sommelier très bavard avec sa jolie compagne et les beaux-parents, une tablée familiale de 7 à 77 ans, des touristes japonais sur les tabourets de la table haute...
Un cocktail du jour un peu long à arriver, dans lequel il faudra ajouter le de la glace. Non mais parce que même si le rhum c'est super bon, tiède, ça passe moins bien tout de même. Sinon, c'est bon, frais, sucré, un truc de fille.
On observe, rigolardes, le manège qui se répète à tour de table, des serveurs qui font le jeu de la cuisine d'Akrame: déposer l'objet, l'expliciter, faire jouer les accessoires. Eh oui, qui dit menu unique, dit service unique, dans le sens de répétitif. On se met les oeillères alors, afin de garder un peu de mystère pour la suite.
Un amuse-bouche dans une boite en plexi (notez tout de suite que le jeu des accessoires nous a plutôt laissées sceptiques tout au long du dîner): oeuf de caille, tuile salée, réduction de vinaigre. Boum. Simple, rapide, efficace.
oeuf de caille, tuile, vinaigre.
2e du nom. Huitre, écume d'échalotte, écume de lard. Un premier jeu de passe-passe annoncé par le serveur "soulevez le tube transparent et voilà". Et voilà les mousses qui se mêlangent entre elles et ne se distinguent plus mec. Bon, ce n'est pas très grave, c'est bon quand même. Attendons la suite...
Une entrée, et une frayeur. La (seule?) déception de la soirée. Enoncé racoleur, jeu de scène, produits alléchants, puis ...rien. Foie gras poché en feuille d'épinard, navet cru émincé, bouillon de poule et sucre pétillant. Le merle serveur te dépose l'assiette, te sort son blabla, dispose ses graines magiques et verse le bouillon. Alors oui, ça pétille dans ton esgourde, mais après ça, rien d'autre. Parce que le bouillon est un peu fade? Parce que le sucre dans le bouillon n'apporte rien? Parce que le foie gras est encore cru et presque froid? Là je vous avoue que j'ai flippé. Le petit oeuf m'avait fait de l'oeil, les conseils sommeliers vraiment convaincants, mais qu'est-ce que c'était que "ça"?quand la beauté ne suffit pas, voyez vous même...
foie gras poché, navet cru, bouillon
On attend la suite, impatientes mais cependant moins euphoriques. Et là, re-boum. Je sais, "boum" ne s'écrit pas, ne se dit même pas, mais je vois pas trop comment l'expliquer autrement. Homard mi-cuit, chou-fleur cuit, cru, citron vert, vinaigre vieux. L'extase. Je vous jure. J'en parle encore, et ça nous fait même inventer des risottos où la liaison se fait à la crème de chou-fleur, où le même chou se balade en poudre, où les langoustines remplacent le homard.
Bref, l'assiette est parfaite. On a cherché pendant cinq bonnes minutes ce "truc" en plus, bien connu pourtant, qui n'était autre que du zeste extra-fin de citron vert. Putain mais bien sûr !! Tout ce qu'il faut est concentré en 3 teintes, 3 éléments, et beaucoup de saveurs. Iodé, sucré, acidulé, amer, fondant, résistant, crémeux. Le kiff.
Homard, chou-fleur, citron vert, vinaigre vieux
2e poisson. Lotte, olives noires, topinambours. Au creux d'une assiette blanche, balayée d'un coup de pinceau d'encre de seiche, un morceau de lotte entièrement noir. Comme carbonisée mais luisante, la bête cache bien son jeu. La robe noire n'est autre qu'une sorte de tapenade ultra savoureuse, fermement aggrippée au poisson, qui sale sans dénaturer. Une virgule de purée de topinambour, très doux, et un quartier du même protagoniste à peine cuit, je dirais plutôt presque cru. Surprise, étonnement, acquiescement.
Lotte, pâte d'olive noire, topinambours
Viande: là, je dois vous avouer que le vin blanc avait bien fait son effet, que mes papilles commencaient même déjà à fatiguer, alors l'attention avait baissé d'un cran. Preuve en est: l'oublie fatal de photo. Pourtant le plat était plutôt réussi. Mais n'a pas autant marqué les esprits que ces prédecesseurs. J'ai donc en mémoire un quasi de veau bien rosé, accompagné de céleri sous plusieurs formes: espuma, purée, cru, cuit... Rien d'extra-ordinaire, mais encore une fois la justesse d'assaisonnement, de goût et de cuisson.
Fromage: on cale déjà tellement qu'on avait complètement zappé de préparer notre estomac à cette étape-là. Quelle erreur! l'assiette est simple mais tout bêtement réussie: un munster à bonne température, des endives émincées qui apportent l'amertume nécessaire, une vinaigrette sucrée pour contraster le tout.
Dessert: l'appellation laisse imaginer mille choses, l'assiette et la dégustation freinent un peu nos ardeurs. Le "chocolat façon forêt noir" se résumera plutôt à un mic-mac assemblé, autour du chocolat certes, mais bien bien loin de l'idée de la forêt noire. En fait, le seul élément que l'on y retrouve est une unique cerise perdue au fond d'une sorte de mousse-ganache. Différentes textures donc, mousse, glace, brisures de meringue. Ce n'est pas mauvais mais on cherche l'harmonie, la clé, l'explication de texte qui éclaire la démarche. J'ai parfois l'impression de me répéter d'expérience en expérience, mais vraiment, la patisserie, c'est un monde à part...
Chocolat dit "façon forêt noire"
Heureusement, à côté, un petit pot magique! Une panna-cottaa au café surmontée d'une espuma au caramel.Simple, gourmand, équilibré.
panna-cotta café, espuma caramel
Vins: grand grand plus de l'adresse. On vous guide (certes un peu comme le reste des convives) et vous approuvez. Un blanc du coin, ultra minéral, pour accompagner les poissons. Je me maudis encore de n'avoir pas noté les références. Un rouge qui n' pas l'appellation vin, pour la suite, "le verre du poète", dans lequel ont macéré quelques herbes aromatiques, et qui donne un résultat fichtrement surprenant: un nez et une bouche de vieux vin, limite madérisé! alors qu'il s'agit d'un 2009...on est bluffées...
De plus, le vin au verre est hyper abordable, et si vous avez la descente un poil trop rapide, on vous remplit le godet sans vous le facturer (non je ne suis PAS journaliste, et donc PAS privilégiée).
Fin de soirée: petite virée au sous-sol pour rendre visite au maître des lieux, déjà en pour-parler avec quelques habitués. Ici point de cuisine cachée, d'apprentis à dissimuler, de chef inaccessible. On papote, on papote, ah tiens oui c'est ma second ,elle a 21 ans, l'an prochain de l'envoie au Japon...et puis c'est déjà l'heure, 1heure, écrire l'article, dormir ,ah dormir...
Verdict: mitigé. Comme bien souvent, je pèse le pour, le contre, je tourne et retourne les souvenirs, les impacts gustatifs, les chocs photographiques, et comme bien souvent, je ne PEUX pas être dityrambique, Ni 100% critique. Il y a du bon, du très bon, sous les mains et sur le feu d'Akrame, on sent à la fois l'expérience, le goût et le talent. Puis il y a le moins bon, disons, ce qui laisse planer le doute: chichis de mise en scène, service à peine un peu (mais déjà trop?) condescendant, facilité du menu "secret", petites erreurs côté saveurs (foie gras, dessert...).
Solution: y retourner! Car franchement je n'avais pas mangé un aussi bon plat que ce homard depuis des lustres, où chaque élément se justifiait, chaque parcelle de l'assiette me bluffait...Car franchement, si j'en parle encore aujourd'hui avec tant de ferveurs, et malgré mes hésitations, mes doutes, c'est que tout de même, il S'EST PASSE QUELQUE CHOSE! et ça, ça n'arrive pas tous les jours...
Les plus: concept excitant, beaux produits, bel endroit, originalité ET maîtrise de la cuisine, on voit que le type tâte du terrain, et pas qu'un peu.
Les moins :petites fautes de goûts, trop de mise en scène, attente parfois longue entre les plats.
L'Atelier d'Akrame
18 Place de la Résistance
37000 Tours
02 47 34 02 55
midi: 16/20 euros
soir: 35/50 euros
Ouvert du mardi au samedi